Laurent Pichon: La Coupe de France en 80 jours

Laurent Pichon: La Coupe de France en 80 jours

Certains naviguent à 20 000 lieues sous les mers, parcourent des îles mystérieuses, voyagent autour de la Lune ou bien encore visitent des villages aériens. Mais d’autres n’ont nul besoin d’effectuer pareilles aventures pour accomplir les plus beaux exploits de leur vie. Laurent Pichon n’est pas parti à San Francisco affronter les Sioux ou en Inde pour sauver de belles demoiselles en détresse. Son périple lui fit traverser la France de part en part, des pointes acérées des falaises de Bretagne qui toisent l’océan Atlantique et ses élans fougueux, des plaines du centre de la France, exposée aux vents capricieux, jusqu’aux contreforts hautains du Jura. Avec pour récompense la victoire au bout du voyage.

 

« Mon ancienne équipe n’est pas allée au bout des choses avec moi. »

 

Pourtant l’histoire ne débute pas si bien. Pour Laurent Pichon, l’expérience à la FDJ s'achève fin 2016 et n’est pas des plus concluantes. Certes, il ne s’agit pas là, à proprement parler, d’un échec mais elle laisse un goût amer dans la bouche du breton. La FDJ, c’était avant tout un rêve, une porte ouverte au World Tour et à toutes les compétitions les plus prestigieuses du calendrier. Mais l’histoire s'avère tout de même frustrante. Une histoire de manque de confiance : « Mon ancienne équipe n’est pas allée au bout des choses avec moi. Ils ne m’ont pas donné assez de confiance. J’avais au fond de moi l’envie de leur montrer qu’ils s’étaient trompés à mon sujet ». D'autant que Laurent Pichon ne fût guère épargné en 2016. En effet, un mal le ronge de l’intérieur depuis février de cette année. Affaibli, il peine à maintenir son niveau à flot, réussissant à performer par intermittence, avant de rechuter. Victime d’une mononucléose ? Non ! Victime de l’Helicobacter pylori, bactérie qui se loge dans l’estomac et mine l’organisme : « On l’a détectée avec le docteur Jacky Maillot, mais je n'ai pas réussi à soigner cette bactérie et elle est revenue en mai. Puis à la mi-août, juste avant de partir à la Vuelta. Et ça a achevé la saison car je savais que je changeais d'équipe et associé au manque de confiance de la direction... je n'étais plus dedans ». C’est bien connu, les histoires d’amour finissent mal...etc.

Un nouveau challenge attend désormais le breton : retourner dans les terres de ses ancêtres et de ses débuts. Terminé le World Tour, retour en continental dans l’équipe d’Emmanuel Hubert, Fortuneo Oscaro : « Hubert voulait que je revienne, comme Roger Trillard, le directeur sportif qui me suit depuis mes débuts quand j'avais 16 ans et que j'étais au collège sport de Lorient ». L’hiver est la saison propice à la préparation de la saison avec pour objectif de, d’abord se débarrasser de ce parasite qui le diminue, puis repartir sur de nouvelles bases, de nouveaux buts. Débarrassé, en quelque sorte, de ses obligations d’équipier, Laurent Pichon entend bien profiter de cet espace de liberté qui s’offre devant lui. La liberté de parcourir l’hexagone de long en large : « Au mois de Novembre, quand on a commencé à dresser la feuille de route, j'ai dit à l'équipe que je voulais que les manches de Coupe de France, vu qu’elles me plaisaient, soient le fil rouge de ma saison ». Pourtant, paradoxalement, pas de Grand Prix la Marseillaise au programme. La cité phocéenne serait-elle trop éloignée de la Bretagne ? Bien évidemment, non. Simple choix stratégique de calendrier :« Je commence à avoir un peu d'expérience. Et les courses de début de saison, ça roule vraiment très très vite. Tout le monde est pressé de reprendre la saison. C'est très dur de tirer son épingle du jeu. J’ai préféré courir fin février pour arriver à un niveau correct sur Paris Nice et lancer la saison là-bas ».

La course au soleil n’en perçoit que très peu les rayons. Une semaine éprouvante à vivre, suivi d’une deuxième pour récupérer et voici qu’arrivent les 8 jours charnières de la saison. Au matin de cette compétition, il est pourtant peu probable que le breton s’attendait à vivre une pareille semaine qui le verra lever par trois fois les bras. La belle histoire prend racine avec la Classic Loire Atlantique. Sur le papier, une course taillée pour les capacités d’homme “passe partout” de Laurent Pichon. Il ne s’agit, spécifiquement, ni d’une course pour sprinteurs, ni d’une course pour grimpeur. Alors qu’il ne reste qu’un tour de circuit, soit 14 km, les 2 coureurs de Fortuneo, Bonnamour et Pichon, enchaînent les attaques à tour de rôle, puis s’échappent tous les deux. Le premier lâche tandis que le second entame un bras de fer avec le peloton dans le dernier kilomètre. Il franchit la ligne en premier. La délivrance : « C'était ma 8e année et je n’avais seulement gagné que des classes 2. Je faisais souvent 2e, 3e sans arriver à lever les bras et, honnêtement, je me demandais si j’y arriverais un jour. Un vrai soulagement, cette victoire ».

 

« J'échangerais bien un Tro Bro Leon contre une future victoire au classement général.»

 

Mais la belle histoire ne s'arrête pas aux routes de La Haye Fouassiere. Elle va faire un détour par l’Italie, lors de la première étape de la Semaine Internationale Coppi et Bartali, où il remporte son duel final avec Lilian Calmejane : « J'ai cru que j'allais me faire reprendre dans les tout derniers mètres. J'ai lancé mon sprint de beaucoup trop loin. Je ne sais même pas trop pourquoi je l'ai fait. Heureusement que je l’ai gagnée ». Enfin, arrive la Route Adélie Vitré, le dimanche suivant, devant la famille. La course est décousue et c’est à 17 kilomètres de l’arrivée que le bon coup jaillit du peloton. Ils sont 5 en tête, dont Pichon et Julien Simon qui semble être le plus à craindre en cas de sprint à l’arrivée. Sprint remporté par le désormais leader de la Coupe de France. Sa victoire la plus savoureuse : « J’ai senti vraiment que je doublais Julien Simon. Je l’ai vu arriver, cette victoire, contrairement aux deux autres ».

Sur les courses débridées qui jalonnent la Coupe de France, Laurent ne gagnera plus. Mais il engrange avec une régularité impressionnante sur les courses auxquelles il participe : 4e sur ce Tro Bro Leon qui lui est si cher, malgré une crevaison : « Pour moi, c’est la plus belle des manches ! Maintenant que j'ai gagné la Coupe de France, j'échangerais bien un Tro Bro Leon contre une future victoire au classement général. Mais si je peux faire les deux, c'est encore mieux (rire) ». 7e à Paris Camembert et à Plumelec :« Là, le général est devenu l'objectif jusqu’à la fin de saison ». Pichon est toujours nettement en tête du classement, mais Samuel Dumoulin reste placé en embuscade : « C’est un habitué de la Coupe de France dont il faut toujours se méfier. C'est quelqu'un que j'admire et que je respecte depuis que je suis passé pro ». Cela étant, le danger rôde également du côté de Cofidis avec Nacer Bouhanni, apte à bousculer le podium. La fin de saison est, en effet, propice aux arrivées groupées et le fougueux coureur d’Epinal se présente comme le principal challenger de ces courses.

Une dernière course, les Boucles de l’Aulne, qu’il achève à la 3e place, bénéficiant du travail d’Anthony Delaplace et de Franck Bonnamour qui éliminent, ce jour-là, Samuel Dumoulin. Et voici que s’ouvre une parenthèse enchantée, une escapade de 3 semaines enviée par tous les coureurs du monde : Le Tour de France. Malgré 8 années au sein du peloton, Laurent Pichon n’a jamais goûté au calice de la grande messe de juillet, jusqu’à en être dépité : « L’année dernière, j'étais dans la pré-liste de 4 coureurs pour la dernière place du Tour de France. Sportivement, j'étais le meilleur. Mais un autre m’a été préféré. Ça m'a un petit peu dégoûté ». Cette découverte, à 31 ans, ne va pourtant pas laisser une trace inoubliable, sportivement parlant, au coureur de Fortuneo. La faute à « un coup de mou » après de longues semaines à batailler pour faire partie de la sélection. Et à peine rallié Paris, qu’il lui faut repartir à l’attaque. C’est en Normandie qu’il lui faut désormais poser ses bagages. Le Tour de France est bel et bien achevé. Le Tour de France de Pichon, lui, se doit de continuer.

 

« Je suis réaliste aussi avec mon niveau. Je ne gagnerai pas Paris Nice. »

 

Laurent Pichon n’est, maintenant, plus un simple puncheur. Mais bel et bien le leader désigné dans sa formation pour ces courses. Celui qui donne le “la”. Mais le breton n’est pas de ces coureurs qui s’imposent aux autres, il est plutôt de ceux qui gagnent leurs galons sur le terrain. Toujours en quête de cette confiance qui lui fit tant défaut par le passé : « Il faudrait demander à mes collègues mais je n’ai pas l'impression d'avoir plus un comportement de leader que ça. Ce n’est pas quelque chose que je revendique, j'aime bien qu'on me fasse confiance mais je n'aime pas me mettre forcément en avant ». Toujours est-il que le mois de juillet s'achève idéalement par un podium, une 3e place lors de la Polynormande, sur les terres chères à Daniel Mangeas. La Coupe de France va prendre ses congés d’été, sommeiller ainsi un mois durant, pour reprendre en septembre. Laurent Pichon dispose d’une confortable avance, qui s’amenuise pourtant après le Grand Prix de Fourmies où Nacer Bouhanni lève les bras tandis que le leader de la coupe de France échoue à la 9e place. 40 points de perdus, de quoi voir venir, tout de même.

Sauf que le Tour du Doubs, une semaine plus tard, ne se passe pas comme envisagé initialement : « Après Fourmies où j’avais terminé un peu déçu, au Tour du Doubs, malheureusement, je suis tombé malade juste avant la course. J’ai été mauvais ce jour-là et j'étais vraiment déçu parce que je m'étais mis en tête de me préparer au mieux. Mais je me suis planté ». Pas de quoi se lamenter de longues heures durant vu que la victoire d’étape échoit à Romain Hardy. Le travail de Fortuneo n’aura pas été vain. Au crépuscule de l’épreuve, le leader de Cofidis a grignoté une partie de son retard et ne présente plus que 56 points d’écarts alors que 100 sont encore en jeu lors des deux dernières manches. Mais le vosgien ne parvient pas à renverser la table sur le Grand Prix d’Isbergues et sur le Tour de Vendée. Laurent Pichon termine ainsi victorieux de cette campagne à travers la France, de ces compétitions débridées aux scénarios bien des fois plus excitants qu’une épreuve World Tour au déroulement cousu de fil blanc : « C’est sûr qu’il n’y a pas le même plateau sur les Coupes de France. Mais à observer, c'est certainement plus attrayant que des courses stéréotypées. Pour quelqu'un passionné de vélo, sans être chauvin, je pense que c'est plus intéressant de regarder le Tro Bro Leon que certaines courses World Tour ».

Désormais, il ne reste plus que la traditionnelle remise du trophée, qui prendra lieu et place à Vincennes en Novembre. Puis, 2017 laissera place à 2018 tandis que les arbres perdront leurs dernières feuilles mortes pour revêtir leurs manteaux d’hiver. Nouvelle année, nouveau leader, nouvelles ambitions : « Moi, ça me plaît bien, d’encadrer Warren Barguil. Ça ne me déplaît pas de bosser en tant que coéquipier. Ce qui m'a déçu, c'est le manque de reconnaissance à la FDJ, mais je suis réaliste aussi avec mon niveau. Je ne gagnerai pas Paris Nice, mais tant que je pourrai jouer ma carte de temps en temps... ».

L'histoire retiendra que ce fut à 31 ans que Laurent Pichon effectua ce qui fut jusqu’alors sa meilleure saison. Finalement, “Cest à force de répandre le bon grain qu'une semence finit par tomber dans un sillon fertile”.

Comme l'écrivait un certain Jules Verne.

 

Propos recueillis par Bertrand Guyot

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